Essai d’un possible parcours d’exilé Réfugié Espagnol en France de 1936 à 1945
Si cette association existe, et que parmi les adhérents, il y a beaucoup de familles d’origines espagnoles, c’est peut-être parce que vous êtes un(e) descendant(e) de Réfugiés(ées) Espagnols(es), qui ont connu l’exil en France, durant la Guerre d’Espagne et « La Retirada » en 1939, et ont fait souche en France.
Voici donc, un petit essai de parcours qu’a pu suivre un de vos ancêtres :
1936 – 1939 :
Franco fait son coup d’état en juillet 1936, et envahit les unes après les autres les différentes provinces espagnoles, jusqu’à la prise de Barcelone en janvier 1939. Franco ayant comme alliés l’Allemagne d’Hitler, et l’Italie de Mussolini, c’est la Guerre d’Espagne, prémices de la 2ème Guerre Mondiale.
Franco impose et installe sa dictature. Durant cette période, un 1er exil commence, suite aux différentes batailles sanglantes et bombardements, dont le plus célèbre est celui de « Guernica », le 26 avril 1937, gravé à jamais dans l’histoire de l’humanité par un célèbre tableau de Pablo Picasso.
En 1937, des enfants et des familles fuient l’Espagne, et sont évacués par bateaux vers la France, par exemple : du port espagnol de Santander, vers les ports français de Bordeaux, La Palisse/La Rochelle ou Lorient… C’est un exil sans trop de problème d’accueil, le nombre d’exilés étant contrôlable. Dans le Massif-Central, en Auvergne et dans le Puy de Dôme/63, on utilise pour les rassembler, la caserne militaire désaffectée de « Gribeauval » à Clermont-Ferrand…
1939 – 1944 :
L’armée des Républicains subit des défaites successives face aux Nationalistes de Franco et ses alliés,les grandes villes sont occupées, dont la dernière provinces résistante : la Catalogne, par la prise de Barcelone le 26 janvier 1939. C’est la retraite : « La Retirada ».
De la fin janvier à début février, les militaires Républicains, des familles espagnoles entières fuient l’Espagne pour la France en passant par les cols des Pyrénées, dans la neige en cette période de l’hiver, bien que la frontière soit fermée, et s’ouvre progressivement… Le flux est tellement important, et l’organisation française débordée, c’est un véritable fiasco pour le gouvernement français, pour recevoir dignement ces réfugiés. Ils vont connaître l’enfer des camps, pour ne pas dire l’enfer « de rien », car il n’y a rien, que plages et barbelés à tous vents, et des soldats divers pour contenir et contrôler cette foule immense, démunie de tout, affamée, désorientée, puisqu’on sépare les familles, les femmes et leurs enfants, des hommes…Plus tard des baraquements seront construits, formant ainsi des camps sur le bord de la Méditerranée.
Que faire de tous ces Réfugiés ?
Le 12 avril 1939, le gouvernement Daladier, crée par décret : les CTE (Centres de Travailleurs Etrangers), concernant les individus âgés de 18 à 48 ans, placés sous la tutelle du Ministre de la Défense et de la Guerre. Ces hommes (il n’y avait pas que des Espagnols), sont mis à la disposition des généraux commandant les régions militaires, constitués en section de 50 et en groupe de 250 personnes, utilisés dans le boisage, charbonnage, entretien et construction de routes, avec un salaire journalier et prime de rendement pour subvenir à leur famille, devenant par la même une occasion de main d’oeuvre bon marché, au lieu de les nourrir gratuitement…Le système étant en place, ces CTE seront constitués à partir des camps, surtout ceux du Sud-Ouest, et quand la France déclare la guerre à l’Allemagne en Septembre 1939, les CTE seront abondamment envoyés et utilisés sur la Ligne Maginot, ou les entrepôts de munitions, et poudreries.
D’autres Réfugiés Espagnols anciens combattants républicains subissant la propagande (s‘engager ou retourner en Espagne), s’engagent dans la Légion et plus précisément dans les RMVE (Régiment de Marche de Volontaires Etrangers) : 21ème, 22ème et 23ème, à partir du camp de Barcarès d’octobre 1939 à mai 1940.
Durant cette période, les familles séparées auparavant, peuvent se trouver dans des camps d’hébergement ou de rassemblement, par exemple :
-En Haute-Loire/43, dans le camp de rassemblement des étrangers (CRE), à la « Papeterie » lieu-dit de la commune de Tence/43, ouvert avant l’été 1939, et fermé le 22 octobre 1940.
Vers la fin de l’année 1939, les 9/10ème de ces Réfugiés Espagnols, devenus « indésirables », auront quitté le département.
C’est seulement en mai/juin 1941 qu’existera le début « du refuge de la montagne protestante », organisé par le pasteur Trocmé, le secours Suisse aux enfants, les Quakers Américains, la CIMADE et la Préfecture… Certains espagnols vont bénéficier de leurs aides.
-En Lozère, il y a des camps d’hébergements à Mende, à St Chély d’Apcher (le camp de la Croix des Anglais) et à Langogne au quartier des Abattoirs/Pont d’Allier, qui recevra en avril 1939, 446 Réfugiés Espagnols venus du Jura. Le camp se fermera en novembre 1940.
Dès juin 1940, la France est battue par l’Allemagne, c’est « la débâcle » pour l’armée française, laissant et abandonnant très souvent les travailleurs des CTE sur place. C’est le sauve qui peut. Proies des Allemands qui les font prisonniers, et dont Franco ne veut pas (il n’en a que faire de ces « Rouges »), ils finiront pour ceux qui n’ont pu s’évader : dans les Stalags, puis déportés au camp de concentration de Güsen/Mauthausen où certains perdront la vie ( 7297 déportés espagnols, dont 4761 morts). Ce camp fut celui des « Rotspaniers », les Espagnols Rouges, portant le triangle bleu des apatrides (parfois accompagnés d’un «S»), puisque Franco ne voulait pas en entendre parler.
Le 16 juin 1940, le Maréchal Pétain devient le président du conseil et le 22 juin, c’est l’Amnistie avec l’Allemagne. Le 1er juillet 1940, le gouvernement s’installe à Vichy/03, la France est partagée en deux Zones, l’une au Nord et sur les flancs de l’Atlantique et de l’Italie dite « Zone Occupée », et le Sud dite « Zone Libre », mais libre jusqu’au 11 novembre 1942, date à laquelle les allemands occupent toute la France.
Le gouvernement de Pétain, transforme les CTE en GTE (Groupement des Travailleurs Etrangers), par la loi du 27 septembre 1940, placés sous l’autorité d’une sous-direction du Ministère de la production industrielle et du travail. Une nouvelle fois une « main d’oeuvre » bon marché, pour des travaux de gros oeuvre : mines, poudreries, grands travaux, barrages, agriculture et forestage…
Des GTE :
-En Haute-Loire/43 : le 190ème GTE basé à Paulhaguet/43 (agriculture, bûcheronnage, mines, industries), et le 139ème GTE basé à La Chaise Dieu/43 (agriculture, bûcheronnage, charbonnage, forestage…) . Dépendant du Groupement régional n= 1.
-En Lozère/48 : le 321ème GTE basé à Chanac/48. Dépendant du Groupement régional n= 3.
Les GTE seront dissous officiellement par l’ordonnance du 2 novembre 1945.
C’est dans les GTE, que viendra puiser l’organisation TODT, dès le printemps 1941, avec l’autorisation du gouvernement de Vichy, dans le cadre de la collaboration, et recruter de la main d’oeuvre pour ses grands chantiers de protection : le Mur de l’Atlantique et de La Manche, et le Mur de la Méditerranée, pour les bases sous-marines, blockhaus, etc.
Beaucoup de travailleurs espagnols, refusent de partir sur ces chantiers, et deviennent des déserteurs, les déserteurs repris seront envoyés en déportation, les autres vont entrer dans les maquis de la Résistance française (FTP ou AS), et se battre pour La Liberté d’abord pour la France avec un espoir pour l’Espagne.
Dès 1941, les Réfugiés Espagnols, qui n’ayant pas cessé de rester organisés (surtout chez les communistes), éditent un journal « Reconquista de España », diffusé clandestinement dans les deux zones de la France, proposant une ligne de rassemblement et de lutte, qui va construire la Résistance
« spécifiquement » espagnole. Fin 1941, des comités locaux se composent et se forment autour du journal avec des Espagnols de tous les bords politiques : communistes, socialistes, anarchistes… Dès le printemps 1942, des comités départementaux naissent sous la bannière de la UNE (Unité Nationale Espagnole).
Malgré la répression par des arrestations, visant les membres de la UNE, à partir de l’été 1942, les exilés espagnols ne se découragent pas, ils s’organisent en formant des groupes armés
spécifiquement espagnols, dans une trentaine de départements français, organisés en Divisions, Brigades et Compagnies, regroupés sous le 14ème Corps de Guérilleros Espagnols :
-La Haute-Loire est dans la 27ème Division et 16ème Brigade avec La Loire. Une Compagnie de la UNE existe en Haute-Loire.
-La Lozère est dans la 15ème Brigade, groupée avec Le Gard (21ème Brigade) et l’Ardèche (19ème Brigade), toutes trois englobées dans la 3ème Division. Dans la région de Langogne, les Guérilleros sont regroupés et forment la Compagnie « En Avant », qui combattra dans de nombreuses actions avec l’AS du Maquis Haute-Lozère, dont la Libération de Langogne, Mende et Villefort.
Reconnus par les organisations patriotiques françaises de la Résistance, ils sont admis au sein des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur), mais toujours comme formation « spécifique » espagnole.
Fin août 1944, c’est le temps de l’AGE (Agrupacion de Guérilleros Espagnols), qui va participer à de nombreuses libérations de ville en France en 1944.
Dès septembre 1944, c’est la mobilisation des Guérilleros Espagnols dans 31 Brigades, dans les départements du Sud-Ouest et le long des Pyrénées, dont 11 Brigades se préparent et sont engagées dans la conquête du Val d’Aran, autour de la 204ème Division en octobre 1944, dont le but est de prendre la ville espagnole de « Vielha », et d’y former un gouvernement républicain provisoire pour reconquérir l’Espagne. C’est : « La Reconquista », pour la Libération de l’Espagne.
Hélas c’est un échec, pour plusieurs raisons, et l’ordre de repli en France est ordonné, n’évitant pas un certain désordre pour regagner les bases, laissant derrière eux, des prisonniers et des morts…
Les Guérilleros armés revenus, vont être mobilisés dans 11 Bataillons de Sécurité pour protéger les frontières Pyrénéennes, mais ils finiront par être désarmés et démobilisés le 31 mars 1945.
Mais des Guérilleros déçus, ne s’avouent pas entièrement vaincus, et des petits groupes individuels d’Espagnols s’infiltrent clandestinement en Espagne pour essayer d’organiser la révolte…beaucoup sont prisonniers, emprisonnés où fusillés.
Après 1945 :
En France, ils s’organisent dans une association l’AAGEF-FFI (Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France – FFI), créée en 1947, à Toulouse/31.
Mais hélas, Franco est toujours en place, avec son régime fascisant, qui redouble d’efforts par ses arrestations, emprisonnements et fusillades.
Il arrive à convaincre la France du gouvernement Pleven, d’une peur des communistes et autres, (entretenant la paranoïa sur l’existence d’une 5ème colonne se cachant dans le pays), et de faire la chasse aux communistes en général. En Septembre 1950, arrestations et expulsions des soi-disant membres de ce complot international, c’est l’Opération « Boléro-Paprika » (Boléro pour les espagnols, Paprika pour les gens des pays de l’Est), certains sont envoyés en Corse au départ de Toulon, d’autres en Afrique du Nord, ou dans les pays de l’Est, comme la Pologne.
Dans la foulée de la répression, l’AAGEF-FFI est dissoute, avec d’autres organisations et associations pro-communistes et leurs biens immobiliers qu’elles pouvaient posséder sont réquisitionnés, y compris l’Hôpital « Varsovie » de Toulouse, qui avait été créé en 1944, pour soigner les blessés guérilleros revenus du Val d’Aran…
Cette opération restera une page noire de l’Histoire de France, et pratiquement tenue au secret…la liste des signataires politiques français pour l’approbation de cette Opération, existe et fait frémir de stupeur.
Ce n’est qu’en 1976, que l’AAGEF-FFI, va renaître de ses cendres, publiant un bulletin et participant activement aux commémorations des faits de guerre et de Résistance, aidant aussi leurs adhérents, à obtenir la reconnaissance de leur droits (carte CVR, droits aux pensions, droits à la retraite suivant leurs parcours…). Sachant que pour le calcul de la retraite versée par la CNAV/CARSAT, les années passées dans les CTE, GTE, Bataillons de Sécurité, sous justificatifs,
sont prises en compte et s’ajoutent aux différents emplois qu’ils ont occupés en France, jusqu’à l’âge de leur retraite officielle, pour ceux qui ont décidés de rester définitivement en France et d’y faire leurs vies et souches de plusieurs générations.
ESSAI réalisé par Gérard LUTAUD, d’après divers documents d’archives – (2017 – 2022).
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Des sites internet pour approcher une recherche :
*Mémoires des Hommes – Seconde Guerre mondiale :
www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
Dans les rubriques, on trouve, né en Espagne :
-Titres homologations et services pour faits de Résistance (GR 16 P) = 6759 noms.
-Base des médaillés de la Résistance = 151 noms au 14/12/2021.
-Base des engagés volontaires étrangers entre le 01/09/1939 et le 25/06/1940 = 3852 noms.
-Base des militaires décédés = 1049 noms.
-Morts en déportations (1939-1945) = 5208 noms.
-Victimes civils = 477 noms.
-FFI (maquis : FTP-MOI, Cie UNE…), par départements (GR 19 P).
*AAGEF-FFI, avec les bulletins de l’Association en ligne sur internet, et de nombreuses informations :
https://sites.google.com/view/aagef-ffi/
*Site: Espana 36, avec une importante documentations sur différents thèmes :
https://espana36.pagesperso-orange.fr
Les demandes de dossiers, s’effectuent auprès des Services Historiques de la Défense (SHD) :
SHD Vincennes pour les GR 16 P : dossier administratif de Résistant
SHD Vincennes pour les GR 28 P : dossier membre d’un Réseau
SHD Caen pour les AC 21 P : dossier déporté, interné, ou décédé
SHD Vincennes pour les GR 19 P : dossier des maquis par département